Ce que parler veut dire…

Publié le par Désirs d'avenir Paris 16

Comme quelques millions de télespectateurs, j'ai regardé Dimanche + et notamment le sujet sur la campagne en Poitou-Charentes. C'est probablement une des régions dont on parle le plus avec Languedoc-Roussillon et l'Ile-de-France.
 Et pour cause, Ségolène Royal en est la présidente sortante, elle caracole en tête des sondages et son opposant de ministre, Dominique Bussereau traverse une mauvaise passe.
Imaginez, l'homme n'a rien trouvé de mieux que qualifier les ralliés venus du Modem sur la liste de la candidate socialiste, de « harkis ». Bévue faite, il s'est excusé, mais le mot a déjà été versé à la longue liste des dérapages en tous genres dont la droite s'est rendue coupable durant cette campagne. Hier donc, sur Canal, on voit un meeting de l'UMP qui se tient dans une salle, d'ailleurs pas très pleine de la ville de Lagord, en Charente-Maritime, et à la tribune, on entend le maire de cette bonne ville, Jean-François Douard, comparer la présidence Royal de Poitou-Charentes à, une « dictature du prolétariat » et au « nazisme ». Bussereau condamne, du bout des lèvres sur le thème « nous ne sommes pas de la même génération, lui et moi, et ce n'est pas mon langage ». Le sien à Bussereau c'est de trouver drôle de parler de la voiture d'un de ses collaborateurs comme d'une « bétaillière ».

 

Ségolène Royal, comme Martine Aubry a un problème. Quand elle parle de l'autorité, certains trouvent ça bien. Quand elle la pratique, les mêmes la trouvent autoritaire.
Mais, la politique, n'est-ce pas mettre la parole en conformité avec les actes ?

 

Malheureusement, cette incapacité à maîtriser son langage est contagieuse. Le maire d'Angoulême a fait le « buzz » durant la semaine avec son histoire de « jeunes de l'UMP qui auraient pu adhérer aux Jeunesses hitlériennes » après une histoire de détournements de photos. Quand le mot de trop tue toute l'argumentation...

 

Ca promet de bons sujets de bouquins ou de tribunes dans les semaines à venir, tous ces dérapages, ces noms d'oiseaux qui, du « casse toi pauvre con » présidentiel aux propos racistes de petits élus ruraux ont été fortement médiatisés ces derniers temps.

 

Au nom de l'authenticité, beaucoup de responsables politiques tentent de parler en public - sur les plateaux télés ou dans les réunions - comme ils parlent dans le privé. C'est, pense-t-on pour cesser la langue de bois. Pourtant, le mouvement qui consiste à utiliser le langage pour expliquer des choses parfois complexes ou longues à développer doit résister aussi bien à l'excès de subtilité qu'à l'excès de simplisme...

 

Il fut un temps où faire de la politique et militer conduisait à un cheminement intellectuel qui tirait beaucoup vers le haut. En un moment, l'engagement politique comme élément d'éducation populaire.

 

Sur les blogs d'ailleurs on voit exister cet effort. Le support écrit permet de mener l'exercice jusqu'au bout. On peut se relire avant de publier. C'est l'anti-zapping. Si Twitter est la technologie que les fondus de la petite phrase attendaient, les blogs sont le moyen de prendre, comme titrait un livre de Lionel Jospin, « le temps de répondre ».

 

Le langage est aussi fondamental pour véhiculer un message que pour renseigner sur celui ou celle qui parle. Le temps médiatique est trop court pour analyser les discours de candidats au-delà de la dimension utilitaire que l'on veut exploiter immédiatement sur le plan politique ; une campagne est en effet une compétition dans laquelle les mots et les symboles sont autant de performances. Mais là encore, il faut prendre le temps de ne pas se rater. Prolonger l'effet et réduire les effets secondaire demande de savoir se poser de temps en temps, tout en restant alerte pour être réactif quand c'est nécessaire.

 

L'exigence d'authenticité vient aussi d'une pression médiatique sous le coup de laquelle on confond esprit critique et suspicion généralisée envers tout dirigeant politique qui doit faire la preuve de sa vertu à tout prix.

 

Dans cette campagne des régionales, qui est à mi-chemin entre une élection locale et une élection nationale, toute la tension créée dans le pays par l'accumulation de la crise sociale, de la dureté de la politique de la droite et de l'absence trop longtemps regrettée d'une opposition combative a généré une envie de coup de balai.

 

La parole doit donc être avant tout convaincante pour que dans un mois, les électeurs accordent leur vote aux listes de progrès qui ont besoin de la confiance exigeante des Français pour que les projets de campagne deviennent réalité.

 

                                                                                Pierre Kanuty (Blog du Nouvel Obs)

 

Publié dans Analyse

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