Le président et l’irresponsabilité langagière

Publié le par Désirs d'avenir Paris 16

Par Sophie Bouchet-Petersen, conseillère de Ségolène Royal. L’absence de tenue et de retenue de Nicolas Sarkozy écorne l’image de la France et fait du tort à son économie.


(capture d'écran : public sénat)
(capture d'écran : public sénat)

L’incontinence langagière de Nicolas Sarkozy est de notoriété publique. Aux psys d’apprécier ce qu’il entre d’infantile dans cette jouissance de la transgression verbale, cet acharnement à rapetisser autrui, ministre, opposant de la République ou chef de gouvernement étranger. Je ne ferai à l’exhibition de cette ivresse de soi, aussi répétitive qu’un symptôme, nul procès en « folitude », car c’est de politique qu’il s’agit et, pour le pays, de conséquences diplomatiques ou économiques.

 

Briser les codes pour parler vrai, je n’y verrais que des avantages. Gavés de langue de bois, de coton ou de caoutchouc, overdosés de double langage, lassés de ces parlers technos qui tuent jusqu’à l’envie de tendre l’oreille, les Français ont, je crois, soif de mots plus francs. C’est pourquoi, quand Ségolène Royal refuse d’édulcorer les brutalités coloniales ou sociales, elle n’est pas approuvée par tous mais toujours entendue. Avec Nicolas Sarkozy, il ne s’agit pas de poser les mots justes sur ce qui est, fût-ce en rendant à la parole politique sa nécessaire puissance de scandale, mais encore et toujours d’obsessionnelle sculpture de soi. Sur fond de politiques publiques impuissantes voire aggravantes, les rodomontades présidentielles ajoutent au tourment du pays. Loin d’impressionner la planète, cette absence de tenue et de retenue fait de la France un objet de risées.

 

Dans l’entourage de Barack Obama, chez les mieux disposés à l’égard du président français, le vent a tourné. Nous avons eu honte de la servilité à l’égard du bushisme finissant. Nous n’avons pas lieu d’être fiers qu’à l’heure où s’y affirme une manière autrement prometteuse de comprendre le monde le signal France soit si faible sur le radar de la Maison-Blanche.

 

Le rayonnement de la France a toujours été fonction de sa capacité à porter une parole forte, indépendante et digne de foi. Ce sont nos idées et leurs mots qui nous valurent, à certains moments de l’histoire, le respect. Le discours du général de Gaulle à Phnom Penh, la qualité du couple franco-allemand du temps de Mitterrand, Dominique de Villepin exposant à l’ONU pourquoi la France n’interviendrait pas en Irak, cela avait une autre allure que notre piteuse réintégration dans une Otan inchangée ou ces anecdotes fielleuses dont les plus friands ne sont pas les derniers à pointer la vulgarité. Parce que cette parole politique est un de nos atouts les plus précieux, tout ce qui la galvaude, tout ce qui la trivialise affaiblit et discrédite le pays. Dilapider ce capital en d’innombrables écarts de langage est plus qu’une faute de goût, une faute professionnelle.

 

A l’étranger, désormais, on se gausse, on s’exaspère de la France. Or, l’atteinte portée à l’image du pays par l’irresponsabilité langagière du chef de l’Etat complique la tâche de nos entreprises sur le marché mondial. En faisant de « la marque France » quelque chose d’un peu ridicule, voire de carrément irritant, Nicolas Sarkozy nuit aux intérêts économiques du pays. Les entrepreneurs le savent bien : ce n’est pas simplement un produit qu’on vend à ses clients, mais aussi un récit ; à l’étranger, quelque chose de la France et de l’idée que l’acheteur s’en fait. Isoler la France à force de dénigrements tous azimuts, c’est jouer un bien mauvais tour à nos entreprises implantées à l’étranger ou tournées vers l’exportation.

 

Pendant la campagne présidentielle, un ambassadeur américain bon connaisseur du business globalisé avait observé froidement que l’élection de Ségolène Royal pouvait rapporter à la France un ou deux points de produit intérieur brut supplémentaires. Il ne parlait pas là de son projet politique, peu à son goût, mais du fait que l’élection à la plus haute fonction d’une femme ne manquant ni d’allure ni d’allant moderniserait l’image de la France et serait pain bénit pour ses entreprises dans l’arène internationale. Pragmatique, il tenait la bonne image d’un pays et la capacité à l’incarner pour un avantage comparatif sonnant et trébuchant.

 

La mauvaise image d’un pays et de ses gouvernants constitue vite, sur le marché, un handicap dans la compétition. Voilà, en sus d’une orientation à la baisse de la morale publique, le désarmement économique auquel nous exposent les inconséquences langagières du chef de l’Etat. Car le consommateur des pays qui se sentent insultés a un pouvoir de sanction, c’est-à-dire le boycott de nos produits. Certaines causes valent qu’on prenne ce risque : ce fut le cas quand il fallut payer d’une bouffée de francophobie américaine notre position sur la guerre en Irak. Tel n’est pas le cas aujourd’hui, à moins de prendre l’ego présidentiel pour une grande cause nationale.

 

Dans l’état de plus en plus désastreux de notre balance commerciale, on aurait tort de plaisanter avec cette dimension immatérielle de la compétitivité française. Le mélange de familiarité surjouée et d’agressivité débridée qui caractérise la parole sarkozyenne est en train de devenir contre-productif. Moins de débauche verbale et de laisser-aller dans le comportement, plus de sobriété et de maîtrise de soi… Cela rendrait -service au pays.


Vendredi 24 Avril 2009 - 08:01
Sophie Bouchet-Petersen

Publié dans Articles de presse

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